Poutine-Kadyrov, le bras de fer caché ?
Des divergences de vue entre le Président de la Fédération de Russie et le Président de la République tchétchène se révèlent au grand jour. Après une décennie de bonne entente, ces désaccords soulèvent des interrogations.
Les homosexuels et les Rohingyas
Ramzan Kadyrov, président tchétchène au sein de la Fédération de Russie, s’est manifesté par l’une des actions les plus marquantes de l’année 2017 : la création de camps de concentration pour homosexuels. Les protestations de la communauté internationale ont été bruyantes mais peu efficaces étant donné qu’on n’a toujours aucune information quant à la situation actuelle de ces camps, ni des sanctions qui auraient dû être prises. Ce scandale a fortement embarrassé le Kremlin, qui ferme les yeux sur les actions de R. Kadyrov, et ne veut surtout pas attirer l’attention internationale sur le théâtre tchétchène.
Un deuxième événement marque une réelle opposition. Suite aux nettoyages ethniques dont sont victimes les Rohingyas en Birmanie, R. Kadyrov a publiquement critiqué la communauté internationale pour son inaction. Des rassemblements de soutien ont été organisés dans la capitale tchétchène de Grozny. R. Kadyrov ne peut pourtant ignorer que toute sanction contre la Birmanie est impossible au Conseil de sécurité de l’ONU car la Russie, comme la Chine, y met son veto. Si les représentants de la Russie parlent de la liberté d’expression pour chaque dirigeant de Républiques fédérées, c’est bien une critique de la diplomatie russe que le Président tchétchène vient de faire.
Qui contrôle qui ?
Le Figaro se demandait en août dernier si Vladimir Poutine n’était pas devenu l’otage de R. Kadyrov. Si la question peut sembler absurde, ou tout du moins exagérée, force est de constater que les deux leaders ont tous deux besoin l’un de l’autre. R. Kadyrov est le fils d’Akhmad Kadyrov, le dernier combattant qui a pu accéder au pouvoir en Tchétchénie en 2003 avec le soutien russe, à condition de ne pas réclamer l’indépendance. Les Kadyrov gèrent la sécurité et les portefeuilles tchétchènes de la façon qu’ils veulent, avec le soutien économique du Kremlin. L’aval de V. Poutine, qui est l’architecte de cette stratégie, est donc nécessaire à R. Kadyrov. Réciproquement, Moscou a besoin d’une Tchétchénie pacifiée, qui réprime sévèrement les terrorismes indépendantistes ou fondamentalistes. Pour cela, il faut un chef autoritaire, mais également légitime. Ce n’est donc pas un lien de vassalité qui existe entre la famille Kadyrov et V. Poutine, mais bien un contrat où les deux parties ont besoin l’une de l’autre.
R. Kadyrov n’est pas en train de chercher à s’émanciper de la Russie, il fait simplement passer son propre agenda en force. L’absence de réaction officielle de Moscou ne doit pas pour autant faire croire que le Kremlin est otage du chef d’État tchétchène. L’apparente tolérance russe vise à ne pas braquer la société tchétchène, mais également celle des autres républiques de Russie (au Caucase, au Tatarstan…) contre le pouvoir central. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de négociations ou contestations internes. Il est aujourd’hui trop tôt pour émettre des hypothèses sur l’avenir, mais il est important de noter que c’est une phénomène tout nouveau qui se produit en Russie depuis l’accession de V. Poutine à la présidence russe : un véritable bras de fer avec le chef d’une République fédérée.